Présentation
Au cours de la dernière décennie, un nombre croissant de travaux réalisés dans le champ des études migratoires et frontalières ont utilisé le concept de solidarité pour décrire les diverses formes, pratiques, et orientations politiques des mouvements de soutien aux personnes en mouvement vers et à travers l'Europe. Toutefois, l'usage du concept de solidarité (un concept profondément enraciné et lourd de signification sociologique et politique) pour définir et décrire toutes les interventions spécifiques de complicité avec les mouvements de personnes illégalisées s'est révélé en partie fondé sur une vision quelque peu partielle, voire manichéenne des logiques de ces interventions : une vision qui sépare clairement les sujets et les objets, les donateurs et les bénéficiaires, les actions lucratives et non lucratives... Cette vision conçoit implicitement la solidarité comme un ensemble d’actions, d’imaginaires et de représentations fondamentalement altruistes et désintéressés, tout en rejetant comme impures et inadaptées toutes les autres possibilités d'alliances tactiques, de formes d'aide et de coopération avec et entre les personnes en mouvement.
L’ambition de ce panel est d’engager une nouvelle réflexion visant à déstabiliser ce récit de recherche dominant, en adoptant une perspective décentrée considérant les routes migratoires africaines (entre Sud au Nord du Sahara) comme terrain privilégié de cette remise en cause. Notre ambition vise donc à intégrer la dimension politique d'un acte de subjectivation (de défi et de désobéissance) au cœur d’une approche plus relationnelle de la solidarité, en tant que forme d'interaction sociale et d'échange, au-delà des jugements moraux surdéterminants et des cloisonnements. Cet atelier, composé de recherches majoritairement menées en Tunisie à partir de différentes catégories de personnes en mouvement, entend éclairer ces questions à partir de différentes enquêtes ethnographiques menées ces dernières années.
Coordination : Camille Cassarini et Luca Queirolo Palmas
L’ordre des mobilités à l’épreuve de la solidarité maritime dans le canal de Sicile
Alice Elkouby-Croisé
Dans le canal de Sicile, espace de luttes réelles et symboliques concernant la question migratoire, marins pêcheurs et marins de commerce circulent quotidiennement pour des raisons économiques. Il est ici proposé de s’intéresser aux « autres » bateaux, ceux qui ne sont pas a priori engagés sur la question
migratoire mais se trouvent, du fait de leur profession, en situation d’influencer la mobilité des migrants illégalisés en mer. Ces acteurs privés ordinaires sont amenés à mettre en œuvre des formes de solidarité qui relèvent de logiques morales, professionnelles, et économiques ; permettant de dépasser la dichotomie construite entre acteurs de la mobilité et acteurs du contrôle, et de s’interroger sur les tensions entre solidarité, mise en mobilité et politisation.
Racismes, migrations, et subjectivités politiques : une ethnographie sur les migrants d´Afrique de l’ouest en Tunisie
Edgar Córdova Morales
La Tunisie est depuis des décennies un pays clé pour l'expérimentation et le déploiement du régime frontalier euro-méditerranéen, à travers l'externalisation de son paradigme humanitaire et sécuritaire, en Afrique du Nord dans le cadre du capitalisme racial de dernière génération. Récemment consolidé en tant que pays de destination forcée, l'espace tunisien a été instrumentalisé en une géographie périlleuse et racialisée pour des milliers de migrants ouest-africains en situation d'(in)mobilité, de vulnérabilité et d'illégalisation. En m'appuyant sur des évidences ethnographiques en 2023, j'identifie et analyse l'impact des anciennes nouvelles technologies de domination raciale et de surveillance anti-noire de l'État tunisien sur les corps et les subjectivités des migrants en tant que phase récente du contrôle de la mobilité. De cette manière, je m'intéresse à l'identification des subjectivités politiques et des possibilités de résistance auxquelles sont confrontées ces populations dans des contextes d'extrême violences.
Nous, les Blacks. Reflections on solidarity and the making of identity
Ivan Bonnin et Enrico Fravega
This contribution examines horizontal solidarity among a group of racialized migrants who share a common experience of oppression. The ethnographic case study focuses on sub-Saharan migrants stranded in olive groves north of Sfax, Tunisia, while awaiting to cross the Mediterranean. They face racism, repression, and extreme poverty. The study reveals that in confronting these hostile conditions and the disparities with local Tunisians, a distinct 'Black' identity emerges. This identity often transcends national, linguistic, and religious divisions. The collective sense of togetherness is formed through shared material and cultural practices, creating a "black brotherhood" that responds to symbolic and material violence based on race. This solidarity contrasts with the politics of division and racialization by the EU and Tunisian government. The emergence of black solidarity, rooted in tangible support systems, offers inspiration for People on the Move and other oppressed groups seeking to cope with systemic discrimination and violence.
Deportation, (re)integration and solidarity: between transnational and grassroots supports in Tunisia and Morocco
Nadia Chaouch et Michela Lovato
Solidarity studies in North Africa have often used a European-based framework, typically focusing on political and humanitarian motivations. This approach might not align with the unique post-colonial contexts and political climates in African societies, which differ from those in Europe. This communication explores cases of return migration from Italy to Morocco and Tunisia to understand the dynamics that support deportees' reintegration. It considers three key groups:
● Deportees: How they experience returning and the relationships they rely on during reintegration.
● Family members: The role of family solidarity in accepting deportees and its effects on community relationships.
● International organizations: The involvement of these groups in supporting return and reintegration, and how they shape related policies.
The study uses direct observation and semi-structured interviews to investigate how these actors interact and contribute to creating solidarity spaces for deportees navigating reintegration challenges.