Présentation
Si l’exil a toujours à voir avec un lieu, celui que l’on a quitté autant que celui que l’on espère atteindre, il est aussi, cette expérience du « hors lieu » (Benslama, 1995) et du « non-lieu » (Alexandre-Garner et Gamitzine-Loumpet, 2020). Entre ces différents espaces et ces temporalités multiples où l’attente et l’incertitude (Dubois, 1999 ; Kobelinsky et Makaremi, 2009) occupent une place centrale, des objets gravitent autour du déplacement et l’accompagnent. Des objets qui relient autant qu’ils séparent et tendent à modéliser l’absence (Sayad, 1999) en créant un monde en soi et autour de soi. Les personnes en exil sont à elles seules, du fait de leur existence, des interfaces entre différents espaces, entre différentes temporalités et différentes représentations socio-politico-économiques (possédant un statut dans le pays d’accueil qui n’est pas le même que dans le pays d’origine ou la région de naissance). Cet atelier souhaite spécifiquement proposer un espace de travail où il sera question de ces objets de l’exil (en exil) et des dimensions sensibles qui les définissent. Par sensibilité, nous entendons tout ce qui peut avoir trait aux sensorialités, il s’agira donc de se concentrer sur les façons dont ces objets éveillent les sens des exilés.
Il s’agit de s’intéresser autant aux sens extérieurs (odorat, ouïe, vision, goût, toucher) à travers des objets qui vont directement mobiliser ces perceptions (alimentations, bijoux, tissus, vêtements, instruments de musiques, etc.) qu’aux sens dits internes, comme la proprioception, la thermoception, l’équilibrioception, dans le cas d’objet qui font appel à des sphères plus intérieures (un brasero qui réchauffe, certains instruments de musique qui impliquent des mouvements de danse, des chaussures qui vont conditionner une démarche particulière, etc.).
Dans ce cadre, l’atelier donnera la parole d’abord à Soso Soumaré qui évoquera le travail photographique de Bouba Traoré et son implication dans un processus mémoriel et militant en migration.
Coordination : Hind MAGHNOUJI et Pierre PERALDI MITTELETTE
Les objets merveilleux et d’agentivité dans les migrations empêchées
Jean-Fidèle Simba
Cette communication explore le rôle des objets merveilleux (mirabilia) dans les migrations empêchées entre l’Afrique subsaharienne et la France, issue d'une thèse de sociologie (2021). L'étude ethnographique met en lumière le phénomène des "miexilleux", un terme désignant les migrants recourant à des objets religieux (comme la Bible, le Coran, des bougies, ou des tapis de prière) et magiques (tels que les amulettes, gris-gris et fétiches) pour faire face aux obstacles liés aux migrations bloquées. Ces migrants bénéficient souvent de l'aide des intermédiaires religieux comme les pasteurs, prêtres, imams, ou des
marabouts et voyants africains. Ces objets et leurs symboliques, qui jouent un rôle clé dans la quête d'une agentivité face aux difficultés du voyage, ont été présentés lors d'une exposition en 2017 au Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM) à Marseille. Les socio-anthropologues Sylvie Brandeloup et Sophie Bava ont souligné l'importance de ces objets pour les migrants, surtout dans un contexte de durcissement des politiques migratoires et de la sécurité accrue, où les migrants emportent ces articles protecteurs comme partie intégrante de leur kit de voyage.
Nostalgie et nourriture : un lien consubstantiel ? Du regret des mets perdus en exil
Emma Barrett Fiedler
Cette communication examine comment les cinq sens contribuent à la nostalgie des émigrés pour leur lieu d'origine. Elle montre que les souvenirs liés au climat, aux odeurs, aux sons, aux paysages, et surtout à la cuisine, jouent un rôle crucial dans la construction de cette nostalgie. Les "aliments-mémoire", comme le couscous ou d'autres plats traditionnels, deviennent des symboles de la vie passée et aident à maintenir un lien avec le pays natal. Les pratiques culinaires, riches en sensorialité, sont souvent le moyen par lequel les émigrés transmettent leurs racines culturelles à leurs enfants, recréant ainsi un lien avec leurs origines malgré la distance physique. La communication souligne le rôle de ces souvenirs sensoriels dans le contexte d'exil, mettant en lumière leur capacité à évoquer une nostalgie intense qui reflète l'attachement à la culture d'origine.
Femmes en exil et expérience des objets : Analyse des romans L'Interdite de Malika Mokeddem et Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie.
Pauline Josiane Djengou Ntone
Cette communication explore le rôle des objets dans la vie des femmes en exil, en analysant comment ces objets influencent leur identité et évoquent des souvenirs. Les objets, comme les vêtements, les livres ou les instruments de musique, agissent comme des médiateurs entre les cultures, aidant les femmes à naviguer dans leur nouvelle réalité tout en restant connectées à leurs racines. Selon Homi Bhabha, les objets permettent aux individus de négocier leur identité, tandis que Gayatri Spivak montre comment ils deviennent des mémoires matérialisées. Les objets établissent des ponts entre le passé et le présent, stimulant les sens et suscitant des émotions, ce qui les rend essentiels dans la fiction qui traite de l'expérience de l'exil. Cette étude démontre comment les objets aident les femmes en exil à s'adapter à leur nouvel environnement tout en maintenant un lien avec leur culture d'origine.
Les guitares nomades : Résonances migratoires des instruments de musique touarègue en France
Valentine Salazard
Cette présentation examine le rôle des instruments de musique, principalement la guitare, dans la vie des migrants Touaregs en France. La musique touarègue, centrée sur la guitare, crée des liens émotionnels et culturels qui unissent la diaspora et traversent les frontières géographiques. L'intervention analyse comment la guitare devient un élément central de l'expérience migratoire, agissant comme moyen d'expression culturelle et de préservation identitaire.
La présentation explore comment la musique éveille les sens externes des musiciens, à travers les sonorités, et comment elle se traduit par des mouvements dansés qui illustrent la synergie entre le corps et l'instrument. Elle met également en lumière comment la guitare aide à modéliser l'absence ressentie par les
migrants Touaregs et contribue à créer des espaces culturels hybrides entre le pays d'origine et le pays d'accueil. En encourageant un dialogue entre ethnomusicologie et études migratoires, cette intervention démontre la richesse culturelle que les migrants Touaregs apportent à la société d'accueil.