Présentation
A l’interface urbain/rural, les conflits se multiplient du fait d’une marchandisation généralisée des terres dans ces milieux et de régulations mal assurées des transactions foncières. Ventes et achats y sont au cœur de jeux d’intérêts et de pouvoir, de sentiments d’appartenance et de productions identitaires. Étatiques ou privés, de nombreux parcellements dépossèdent les acteurs ruraux de leurs terres, avec ou sans indemnisation. Ces processus se fondent sur une fabrique concurrentielle de rentes, de valeurs refuge, de monnaies de réserve et de pratiques spéculatives. Ces mécanismes économiques durcissent partout les rapports sociaux et mettent en cause l’approche dichotomique des droits dans les villes, versus dans les campagnes. Ils conduisent à prendre en compte davantage un continuum territorial de besoins et de pratiques liés à l’étalement urbain. L’atelier a pour but d’explorer les types de conflit, dont l’échelle et l’origine peuvent varier en périphérie de métropole, les médiations et mobilisations qu’ils suscitent, locales ou élargies, inégalement pérennisées, que suscitent ces tensions foncières et ces dépossessions.
Coordination : Monique Bertrand et Philippe Lavigne Delville
Production agricole autour des métropoles camerounaises, marchandisation des terres et conflits fonciers : cas de la zone périurbaine de la ville de Yaoundé par Christophe Mvogo et Hervé Pierre Abah
Cette communication explore le phénomène de migration agricole à Yaoundé-Est, au Cameroun, lié à l'urbanisation croissante. À partir des années 1980, des travailleurs étrangers ont été recrutés dans les plantations de l'élite locale, avec une augmentation notable à partir de 1990 due à la croissance de la culture marchande de l'ananas. L'étude examine comment les accords informels entre ayants droit et migrants ont conduit à des conflits au sein des familles autochtones, exacerbés par la marchandisation des terres. Basée sur des données qualitatives à Awaé, elle montre que le développement de la production d'ananas a entraîné des contestations concernant l'accès aux terres, des revendications de redistribution des profits, et des conflits fonciers liés à la vente des terres. L'analyse détaille les conditions d'accès à ces terres, les formes de conflits émergents, et les mobilisations autour des questions foncières, mettant en lumière les tensions et les enjeux sociaux engendrés par cette migration agricole.
Réquisitions foncières et mobilisations sociales : rapports de force autour de l’accès au sol en périphéries de Bamako (Mali) par Mamadou Kouma
La croissance urbaine à Bamako entraîne une redistribution de la population vers les périphéries, où les tensions foncières augmentent. Le District de Bamako, à court de terrains disponibles, s'étend désormais sur des communes rurales suite aux réformes de décentralisation des années 1990. Depuis 2000, cette expansion a créé une forte demande de terrains à bâtir, menant à une marchandisation des terres villageoises et déclenchant des conflits entre acteurs publics et privés. Cette communication s'appuie sur une enquête de terrain menée dans les communes rurales de Sanankoroba, Safo et N’gabacoro, situées autour de Bamako, pour examiner les formes de résistance à ces réquisitions foncières. Les communautés rurales utilisent diverses stratégies pour défendre leurs terres, notamment des mobilisations locales, des mouvements fédérateurs, et de plus en plus le recours aux tribunaux, indiquant une évolution vers des confrontations plus directes et des tensions sociales accrues. Ces dynamiques reflètent un contexte institutionnel et politique instable depuis 2012.
Les cycles de mobilisations face aux dépossessions foncières par les promoteurs immobiliers
dans l’espace périurbain de Dakar (Sénégal), par Serigne Abdou Lahat Ndiaye
Les périphéries de Dakar connaissent une montée des tensions dues à des dépossessions foncières par des promoteurs immobiliers, poussées par la forte croissance démographique et la pression urbanistique. Des villages ruraux installés de longue date sont menacés par la transformation urbaine, notamment dans la zone des Niayes. Des collectifs tels que "and samma sa moomel" et des groupes villageois se sont mobilisés contre les expropriations, avec des phases d'effritement suivies de remobilisations. Malgré la promesse de restitution des terres par l'État en 2006, des affrontements récents montrent des conflits internes, des intérêts ambigus de la part des collectifs, et des tentatives de régularisation, révélant les complexités du contexte foncier dakarois.
Clarifier les droits fonciers » au Mali : recours et nouveaux problèmes d’une conflictualité généralisée dans les périphéries bamakoises par Bertrand Monique
La délivrance massive de titres fonciers autour de Bamako a entraîné de nombreux conflits qui encombrent les tribunaux et suscitent des allégations de partialité et d'impunité. Deux réponses contrastées émergent pour résoudre ces tensions : d'une part, une approche associative centrée sur la mobilisation sociale et les droits coutumiers, et d'autre part, une démarche institutionnelle axée sur la digitalisation des relevés parcellaires. Les conflits fonciers illustrent la compétition entre intérêts urbains et droits ruraux. Tandis que le Secrétariat Permanent à la Réforme Domaniale et Foncière propose une solution numérique pour stabiliser la situation, les initiatives communautaires ne se manifestent plus que sur les réseaux sociaux. Cela souligne le décalage entre la gouvernance officielle et les tensions locales persistantes, posant la question de la capacité de l'État malien à dépasser les conflits fonciers pour assurer une gestion équitable des terres.
Sentiment d’injustice et rapport à l’État dans les mobilisations foncières péri-urbaines au Sénégal par Lavigne Delville Philippe
L'expansion urbaine au Sénégal a entraîné des conflits fonciers entre les habitants des villages périphériques, les communes, l'État et les promoteurs privés. L'immatriculation foncière, utilisée par l'État et les entrepreneurs privés, est souvent la cause de ces conflits, provoquant des dépossessions et des tensions sociales. À travers des entretiens dans la commune de Diamniadio, cette étude explore les ressentis d'impuissance et de révolte des communautés locales, qui critiquent les dépossessions au profit d'intérêts privés. Les collectifs locaux tentent de lutter contre ces injustices, malgré des succès limités. Cette tension révèle le conflit entre l'État concret, qui impose ses décisions, et l'État abstrait, qui devrait protéger les droits des citoyens, soulignant ainsi les défis de l'urbanisation rapide au Sénégal