Présentation
En les abordant par le prisme des pratiques et représentations religieuses et spirituelles, nous proposerons dans cet atelier une réflexion collective sur des phénomènes socioculturels qui inscrivent différents acteurs dans des processus de marginalisation du fait d’être étiquetés déviants ou les amenant à l’être, dans différents contextes socioculturels africains.
Si Coline Desq, sur un terrain villageois èvhe du sud-Togo, proposera l’analyse d’un paradoxe bien connu : les contre-sorciers les plus puissants sont aussi ceux que l’on soupçonne le plus de verser dans des pratiques sorcellaires, au moment où l’on parle de sorcellerie en acte, Marie Daugey nous emmènera au nord de la même Nation, eu pays kabye, pour nous montrer de quelle manière les imputations et les accusations se réalisent dans le cadre d’une enquête spirituelle (rite divinatoire) lorsque le phénomène sorcellaire s’inscrit déjà dans une temporalité passée, au moment des funérailles des victimes potentielles dont les morts sont jugées suspectes (parce que brutales, inattendues ou prématurées). Sur la même lignée mais dans un autre contexte, le Gabon, Arielle Ekang Mve et Christian Mayissé développeront une réflexion sur le phénomène sorcellaire également mais qui recentre son objet autour de la qualification du corps et du classement de la personne malade entre victime ensorcelée et coupable de transgression. Enfin, les deux dernières interventions orienteront nos réflexions vers deux terrains malgaches. Elisabeth Rossé proposera d’analyser la construction de la réputation d’un guérisseur qui peut paradoxalement être considéré par un large public comme un « grand possédé » ou au contraire comme un sorcier, sur la base de témoignages ou rumeurs concernant la forme corporelle de sa pratique, chez les Tandroy de Toliara. Raphaël Gallien et Olivia Legrip-Randirambelo présenteront deux études de cas de devin-guérisseurs marginalisés et l’ambivalence qui caractérise leurs relations avec des représentants du monde conventionnel, leurs discours et récits de soi œuvrant à leur attractivité ou au contraire à leur mise en état de déviance.
Coordination : Roxane Favier de Coulomb et Coline Desq
Les présomptions de sorcellerie comme ligne de partage entre pratiques magico-religieuses chez les Tandroy de Toliara (Madagascar)
Elisabeth Rossé
Cette communication explore comment les discours sur la sorcellerie façonnent la réputation des guérisseurs Tandroy, originaires du sud de Madagascar. Basée sur des enquêtes menées à Toliara, elle montre que ces discours visent à établir une ligne de démarcation entre la possession et la divination, des pratiques magico-religieuses distinctes mais souvent entremêlées. Les accusations de sorcellerie émergent lorsque les guérisseurs brouillent les limites entre ces pratiques, en feignant par exemple des états de transe. Ces accusations reposent davantage sur des perceptions de manipulation que sur des cas de détournement financier. La communication examine comment un guérisseur peut être perçu soit comme un "grand possédé", soit comme un sorcier, selon son rapport au corps et aux rituels.
Le devin, le pasteur et le prêtre-exorciste, sorciers en puissance ? Des imputations sorcellaires envers les contre-sorciers en pays éwé (Sud-Ouest du Togo)
Coline Desq
Dans le village d’Hanyigba-Todzi au Togo, les habitants consultent des contre-sorciers lorsqu'ils soupçonnent que leurs malheurs ou maladies répétitives sont causés par des sorciers. Les contre-sorciers peuvent appartenir à des confessions différentes : vodou, pentecôtistes, ou catholiques charismatiques. Les contre-sorciers efficaces gagnent en réputation mais deviennent aussi des cibles de soupçons. Les pasteurs pentecôtistes sont accusés d'utiliser des grigris pour attirer des fidèles, les prêtres- exorcistes catholiques sont soupçonnés d'utiliser des livres interdits, et les devins vodou sont diabolisés par les chrétiens charismatiques. Ces accusations révèlent une concurrence entre les confessions religieuses, où les contre-sorciers les plus efficaces sont aussi les plus susceptibles d'être accusés de sorcellerie.
Des « corps mangés » et des « corps maudits »
Arielle Ekang Mve et Christian Mayissé
Cette communication explore la manière dont les maladies persistantes et non diagnostiquées (par exemple, des gonflements ou paralysies) sont perçues comme des attaques sorcellaires ou des sanctions des puissances invisibles, indiquant ainsi des transgressions ou des agressions. Les discours qui classent ces
maladies parlent de "corps ensorcelé" ou de "corps maudit". Le "corps ensorcelé" implique l'idée d'un sorcier agissant comme prédateur, prêt à dévorer la victime, entraînant la notion d'"être la viande de quelqu'un". Le "corps maudit" suggère une punition pour une faute sociale, nécessitant des rituels de
resocialisation. Les traitements pour ces maladies peuvent varier, allant des rites de guérison à la contre- sorcellerie ou la déculpabilisation. Dans ce contexte, la communication vise à analyser les discours et imaginaires qui qualifient ces corps malades et à examiner les itinéraires thérapeutiques qui émergent dans
cet environnement aux offres religieuses et thérapeutiques diversifiées.
Le tirailleur-guérisseur et l’apôtre-masseur. Des thérapeutes marginaux à Madagascar (XXème et XXIème s.)
Raphaël Gallien et Olivia Legrip-Randriambelo
Cette communication examine la sorcellerie dans le contexte des Hautes Terres malgaches en analysant deux figures de guérisseurs, chacune à une époque différente. Le premier cas est celui de Sanasana, un devin-guérisseur de 19 ans interné en 1916 dans le seul asile psychiatrique de l'île. Ses voisins,
exaspérés par ses prétentions, le font interner plutôt qu'une répression coloniale. Son histoire révèle la complexité des attentes envers les devins-guérisseurs, leur rôle social, et leur capacité à être pris au sérieux. Le deuxième cas concerne Julien, un ancien militaire devenu masseur et membre du mouvement de Réveil protestant, officiant depuis les années 2010 à Fianarantsoa. Son approche mélange des éléments religieux, thérapeutiques, et de l'Association nationale des tradipraticiens malgaches. Julien combat les "démons" avec des prières sans mentionner explicitement la sorcellerie, mais l'implicite. Ces deux cas mettent en lumière la créativité des devins-guérisseurs, leur rapport avec la société, et comment ils s'articulent aux attentes du groupe.