Les Rencontres des Études africaines en France


Retrouvez l'ensemble des ateliers proposés lors des différentes rencontres organisées par le GIS

L’échec des réformes pénitentiaires en Afrique : et après ?

Présentation

Coordination: Berrih Carole et Fischer Bénédicte

Les prisons africaines sont classiquement considérées à travers les violations des droits humains, analysées par la mesure des écarts entre les normes juridiques et les pratiques (Morelle et Le Marcis, 2016). Un constat d’échec des réformes pénitentiaires en découle, inscrit dans un constat plus général de celui des réformes de la justice, notamment expliqué par l’externalité de la procédure de production des réformes (Darbon, 2003 ; Bouagga, 2016) ou la méconnaissance des contextes d’intervention et la mise en œuvre de réformes standardisées (Olivier de Sardan, 2021 ; Bernard, 2022). Malgré ces réflexions, une simple approche en termes de « dysfonctionnements » perdure dans la mise en œuvre des différents projets de développement, obérant toute réflexion quant à une possible refondation du cadre juridico-administratif. En prenant le contre-pied de l’exclusion des sciences juridiques des réflexions sur le champ pénitentiaire, car pensées comme limitées dans les méthodes et dépendantes de notions forgées et diffusées dans des logiques d’extranéité, le présent atelier vise à ouvrir un espace de discussion interrogeant le rôle du droit dans les dynamiques d’action publique à partir des questions carcérales. Alors que les voix des personnes détenues et les réalités carcérales sont souvent négligées par les politiques publiques (Morelle, 2021 ; Fischer, 2022), pourraient-elles être considérées pour repenser le contexte normatif ? Les méthodes de collecte de données sont-elles adaptées à cette fin ? Face aux questions sécuritaires et les difficultés d’accès aux établissements pénitentiaires, des dynamiques participatives doivent-elles être encouragées dans le domaine juridique ? Plus encore, est-il même du ressort du droit de saisir les réalités carcérales afin de les traduire en normes « correctives » ? Dans la continuité d’une dynamique de recherche-action portée par le laboratoire de recherche CERDAP² depuis 2018 en Côte d’Ivoire (Bernard et Fischer, 2021 ; CERDAP² et al, 2020), cet atelier cherche à explorer différentes pistes de réflexion par la confrontation des regards disciplinaires et des expériences de plusieurs Etats.

Réformer le régime pénitentiaire en contexte colonial : les revendications des prisonniers politiques camerounais (1955-1960).

Marine Bellot-Gurlet

En 1955, après les émeutes de mai, les autorités coloniales françaises dissolvent l'Union des populations du Cameroun (UPC), principal parti indépendantiste. Des centaines de militants son emprisonnés. Dans les prisons de Yoko et de Douala, les détenus s'organisent pour formuler des revendications. En 1958, ceux de Yoko rédigent un "cahier de revendications" critiquant l'arrêté de 1933 qui régit les prisons au Cameroun. Ils demandent la reconnaissance de leur statut de prisonniers politiques, une amélioration des conditions de vie, et un alignement sur la Déclaration universelle des droits de l'homme. Les propositions abordent des aspects de la vie quotidienne comme la nourriture, l'hygiène, le mobilier des cellules, la santé et l'accès aux loisirs. Par cette démarche, les détenus entendent démontrer leur capacité à proposer des réformes et à s'approprier leur destin, anticipant sur l'indépendance du Cameroun. Les pétitions des détenus révèlent également les conditions de détention dans les années 1950 et témoignent de leur quête d'émancipation politique.

Prisons en Guinée : Entre répression politique et surpopulation endémique.

Gnouma Laurent Koniono

Le 5 septembre 2021, le Colonel Mamadi Doumbouya renverse Alpha Condé par un coup d'État promettant un retour à la justice. Deux jours plus tard, il libère des membres du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), arrêtés pour s'opposer à Condé. Cependant, lors de nouvelles manifestations en juillet 2022, des personnes, y compris du FNDC, sont de nouveau arrêtées et incarcérées sans procès, avec des enfants parmi eux. Des anciens ministres de Condé accusés de corruption subissent le même sort. La Maison Centrale de Conakry, destinée à 300 détenus, compte 1 929 prisonniers en octobre 2023, soit une surpopulation de 643 %, avec 65 % de détenus en détention provisoire souvent au-delà de la durée légale. Les conditions de détention y sont extrêmement difficiles. Ces constats soulèvent des questions sur la pertinence de la prison dans la Guinée postcoloniale, où l'incarcération semble perpétuer les pratiques coloniales pour contrôler les opposants et les populations pauvres.

Utiliser les justices locales pour sortir du dogme judiciaire d’inspiration coloniale ? Quelques points d’attention tirés d’expériences au Burkina Faso.

Julien Moriceau

Malgré 70 ans d'indépendance et de multiples réformes, les systèmes juridiques de la plupart des États africains demeurent largement calqués sur les modèles de justice occidentale importés durant la colonisation. Depuis plusieurs années, les discours des acteurs du développement international et des institutions africaines reconnaissent l'échec des réformes judiciaires traditionnelles et l'incapacité des systèmes judiciaires étatiques à satisfaire la demande de justice des populations. Ils suggèrent désormais d'inclure des mécanismes alternatifs, comme des sanctions alternatives à la détention ou des méthodes "traditionnelles" de résolution des litiges. Toutefois, dans la pratique, les réformes récentes ne parviennent que rarement à modifier réellement le modèle pénal répressif, laissant peu de place à des approches novatrices ou communautaires pour traiter les problèmes de justice.

La déconnexion entre le droit et la réalité comme ressource : l’exemple de la réforme de travail d’intérêt général en Ouganda.

Chloé Ould Aklouche

La plupart des études sur les politiques publiques et les prisons en Afrique mettent en avant les insuffisances, les dérives et le manque de ressources. Cette communication propose une perspective différente, examinant comment les écarts entre les textes législatifs et les pratiques peuvent être utilisés par les acteurs nationaux pour créer des actions publiques. L'exemple utilisé est celui de la politique de travail d'intérêt général (TIG) en Ouganda, qui devait réduire la surpopulation carcérale mais qui n'a pas réussi à atteindre cet objectif. Malgré l'implication des acteurs locaux dans la conception des TIG, la mise en œuvre pratique présente des défis importants, avec peu de ressources et un nombre limité de conseillers TIG. Cela suggère que la disparité entre les lois et leur application peut offrir des opportunités pour repenser la mise en œuvre des politiques publiques dans un contexte de pénurie de ressources.

Un retour réflexif sur un terrain d’enquête sur les mineurs incarcérés à la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou (Burkina Faso).

Hama Thieni

Au Burkina Faso, les maisons d’arrêt et de correction abritent des quartiers pour mineurs destinés à ceux soupçonnés ou ayant commis des infractions pénales. En 2020, 328 mineurs ont été accueillis dans les 27 établissements pénitentiaires du pays, avec des conditions de détention souvent précaires et un principe de moindre éligibilité dominant sur la normalisation. Le flux de mineurs dans la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou (MACO) a varié, avec 99 en 2016 et 51 en 2020. Les chercheurs rencontrent des défis pour accéder à ces établissements, comme l'obtention d'autorisations et l'établissement de liens de confiance avec les détenus. Les mineurs développent des sous-cultures carcérales avec des codes et des expressions spécifiques. Bien que la recherche réflexive soit utile pour comprendre ces dynamiques, elle fait face à des résistances par rapport à l'approche positiviste.

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