Présentation
Organisé par Hervé Maupeu (UPPA) et Sandrine Perrot (CERI).
Depuis une décennie, les recherches monographiques sur les milices en Afrique (étatiques ou non-étatiques) se sont multipliées. Il est aujourd'hui possible de se livrer à un bilan d'étape visant à réfléchir aux approches retenues tout autant qu'aux connaissances produites.
A travers une approche à la fois comparative et résolument transdisciplinaire, nous devrons nous interroger sur les outils qui sont aujourd'hui à notre disposition pour analyser les phénomènes miliciens. Dans quelle mesure les études sur les mouvements armés des années 90 ont influencé les recherches plus récentes sur les groupes de vigilants/miliciens apparaissant dans des zones de tensions de plus basse intensité ? Est-ce que l'approche anthropologique qui paraît dominante dans l'étude de ces groupements permet de saisir efficacement les relations avec les structures étatiques ? Comment la sociologie des organisations et de la mobilisation collective nous permet de mieux appréhender les réseaux de sociabilité miliciens, leurs modalités de recrutement et de démobilisation ?
Dans ce cadre de réflexion, nous sollicitons des contributions susceptibles d'être intéressées par les angles d'analyse suivants :
Les approches historiographiques des gestions de la sécurité par les milices
Décrit comme typique des « nouvelles guerres » des années 1990, la gestion de la sécurité par les milices n'est cependant pas un phénomène nouveau. En nous intéressant à l'historicité des mobilisations miliciennes, nous souhaitons retracer les évolutions sur le temps long de la gestion de la sécurité par l’État à travers des dynamiques de paramilitarisation et/ou de milicianisation des populations civiles. Cela nous amènera à nous intéresser également aux reconfigurations récentes des appareils d’État.
Depuis les années 80, l'architecture des États connaît de grandes mutations. Ainsi, les administrations régaliennes évoluent. Les polices s'occupent de moins en moins de la sécurité publique. L'État protecteur change sa logique de solidarité. Ces recompositions de l'État peuvent conduire à une apparente privatisation de sa sécurité mais cela ne signifie pas toujours une absence d'État. De plus, les élites étatiques s'investissent dans ce domaine mais selon des modalités qui ont beaucoup changé. Dans ce contexte, comment les milices se situent en substitut à l'État, parfois en complémentarité ou même en concurrence ?
Les parcours miliciens
Nous nous intéresserons ensuite aux trajectoires miliciennes depuis leurs modalités de recrutement jusqu'à leur démobilisation et reconversion. Si les mobilisations de la « jeunesse désœuvrée » ont été bien étudiées, doit-on présumer que les jeunes africains pauvres sont condamnés à s'engager dans les milices, du fait d'une forte pression démographique (des classes d'âge trop populeuses) et d'un marché de l'emploi qui favoriserait les pères de familles aux dépens des cadets sociaux ? Quelles sont les transformations sociales et les reconversions à l'œuvre dans l'après-guerre ?
Il faudra aborder la zone grise du « post-conflit » en tant que lieu de renégociation des rapports de pouvoir entre les milices et l’État en termes de gestion des instruments de violence. Sans préjuger de la nécessité de supprimer toutes les milices, de nombreuses sorties de crises passent en Afrique par le désarmement d'un certain nombre de groupes. Quelles sont les modalités de reconversion des miliciens ? Comment les dispositifs DDR (Désarmement, Démobilisation et Réinsertion) appréhendent le phénomène milicien sachant que ces ingénieries sociales et politiques sont encore mal théorisées notamment du fait de connaissances insuffisantes sur leurs modes de fonctionnement et leurs effets ? Comment les politiques de justice transitionnelle gèrent les effets des massacres couramment perpétrés par des milices ?
Démocratisations et ‘milicianisation' de la vie politique
Enfin, les démocratisations des années 90 ont coïncidé avec un fort développement des milices. Des liens causaux existent entre ces deux dynamiques mais selon des modalités et des mécanismes qu'il convient de mieux élucider.
Quelles sont les relations que les milices entretiennent avec certaines organisations politiques et en particulier les partis politiques ? Comment les milices interviennent à l'occasion de certains moments forts des vies démocratiques, notamment les élections ?
Nous nous intéresserons ici à l'influence des représentations et de l'éthos miliciens sur la scène politique et à la transformation éventuelle du champ politique par l'émergence de figures miliciennes. De quelle manière l'insertion dans la vie politique en retour transforme-t-elle les milices, leurs modes de domination interne, leurs répertoires d'action ?