Présentation
Ces dernières années, l’historiographie de la folie aux Afriques connait un profond renouvellement. Cette table ronde souhaite réunir ces nouvelles recherches en interrogeant les circulations inhérentes à la pathologisation de manifestations psychiques jugées « anormales ».
Une première génération de chercheurs a montré le rôle qu’a eu la psychiatrie dans la construction des catégories coloniales à travers la pathologisation des comportements. Fort de ces premiers travaux, ce panel souhaite dépasser ce premier regard « constructiviste » au profit d’une lecture qui se concentre davantage sur les trajectoires sociales qui conduisent à l’étiquetage « fou ». Dans les dossiers médicaux, il est en effet frappant de constater que, bien souvent, le diagnostic du médecin ne fait qu’entériner une stigmatisation qui précède très largement l’internement asilaire. La séquestration familiale, l’hospitalisation, la détention pénitentiaire, la claustration religieuse, etc., apparaissent comme autant d’institutions fondamentales dans la construction du stigmate social. Au quotidien, plus que le discours du psychiatre, c’est avant tout la circulation de la personne entre ces différentes institutions qui installent et scellent les représentations à son sujet et la trajectoire de soin qui en découle. Restituer les itinéraires individuels dans une économie institutionnelle plus large s’avère dès lors essentiel pour comprendre ce qui se joue à travers les différents parcours de santé. Avec ce panel, il s’agit donc de mieux saisir les circulations institutionnelles qui façonnent la maladie mentale aux Afriques. Alors que ces différents espaces de prise en charge sont souvent perçus comme discordants, l’objectif est à l’inverse d’insister sur leur complémentarité et ainsi renouveler le regard sur une institution asilaire qui, plus qu’une « institution totale », fermée et carcérale, apparait ouverte et au carrefour des différentes représentations et modalités de gestion de la folie aux Afriques. Sont donc attendues des communications appartenant à l’ensemble des sciences sociales interrogeant les processus de (dés)engagements dans le soin au sein de ces diverses institutions afin de repenser un tissu de relations (familiales, religieuses, médicales, judiciaires, administratives, etc.) qui donnent corps à la maladie mentale en contexte africain.
Coordination : Raphaël Gallien
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Partie 1
Partie 2
Résumés des communications
Trajectoires familiales et responsabilité du soin dans la maladie mentale au long cours : entre éthique de la solidarité (familiale) et éthique du care
Gina Aït Mehdi
À partir d’une enquête ethnographique menée auprès de personnes confrontées à la maladie mentale chronique au Niger, j’interrogerai la circulation du « fou » au regard des mécanismes sociaux de care qui se jouent au sein de l’institution familiale et de la parenté. En considérant de plus près les processus de (dés)engagements dans le soin, je proposerai ainsi de (re)penser certains enjeux des solidarités contemporaines face à la folie à travers les liens complexes,
entre un ordre moral marqué par la solidarité (familiale), et la production renouvelée de sollicitudes.
« Il préfère la vie à l’asile à la vie à la prison ». Entre justice et folie, redessiner les frontières du pathologique (Madagascar, années 1930)
Raphaël Gallien
L’objectif de cette communication est de complexifier une thèse courante qui consiste à voir dans le pouvoir psychiatrique le redoublement du pouvoir judiciaire. En prenant l’exemple de quelques « cas », il s’agira de revenir sur l’empreinte d’une rationalité asilaire qui dessine, au-130 delà du seul registre médical, pénal ou judiciaire, ses propres frontières. En interrogeant ces parcours, l’asile, loin d’être un simple réceptacle d’indigents, apparait comme un espace
d’appropriation des normes afin de négocier durée et conditions de l’enfermement dans l’économie disciplinaire coloniale.
Séjourner dans les camps du Réveil protestant. L’institutionnalisation religieuse des troubles mentaux à Madagascar
Olivia Legrip-Randriambelo
L’institutionnalisation religieuse des troubles mentaux à Madagascar est, en partie, une réponse aux manques de structures psychiatriques. Avec l’exemple des camps du mouvement de Réveil luthérien, il sera question de saisir leurs enjeux : de l’Église luthérienne aux hôpitaux luthériens. Quelles sont les places des pasteurs, des exorcistes, des malades et de leurs familles dans cette prise en charge religieuse ? Comment les pathologies psychiatriques se
mêlent à l’interprétation démoniaque ?
Au cœur du quotidien de la psychiatrie postcoloniale : étude du carnet de garde du service de psychiatrie de Bobo-Dioulasso (Burkina Faso – années 1960)
Romain Tiquet
Cette présentation se basera sur l’analyse d’un carnet de garde du service de psychiatrie de Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) entre 1966 et 1969. Il est possible d’explorer le quotidien de ce service, mais aussi de penser hors les murs de l’institution psychiatrique puisque de nombreuses informations biographiques sont données sur les personnes hospitalisées. Plus largement, cette communication proposera un pas de côté en analysant les possibilités offertes par ce type de source pour penser plus largement une histoire sociale et politique du pays.