Présentation
Organisé par Annie Chéneau-Loquay (Géographe, Directrice de recherche, CEAN).
Personne ne nie plus désormais l'utilité d'Internet et du téléphone en Afrique même si les problèmes de base, approvisionnement en eau, énergie, alimentation ne sont toujours pas résolus. Au contraire, 15 ans après les débuts de l'expansion des TIC on est tombé dans l'excès inverse, les médias se sont emparés du sujet et on entend surtout parler en 2010 du téléphone mobile et de ses extraordinaires possibilités pour le « développement » (1). Ainsi paradoxalement, l'Afrique qui apparaissait il y a dix ans comme un marché marginal est devenue « un espace d'innovation pour faire du business », celui où « les marchés offrent un énorme potentiel pour les investisseurs ». Aujourd'hui l'accent est mis sur le « miracle » de la « révolution » du mobile. Mais n'est-ce pas au détriment d'un service universel dans ses différentes acceptions, pas seulement l'extension géographique de la couverture des territoires mais aussi celle des populations à faibles revenus et la création et l'échange de contenus adaptés aux activités locales comme le voudrait une autre conception qui ferait des TIC des services de base comme l'eau ou l'électricité.
Au delà de la rumeur, où en est-on aujourd'hui ? Quel bilan peut-on dresser, quelles tendances se dégagent, quelles perspectives et surtout dans quels contextes, car il faut d'emblée souligner la diversité des situations selon les pays et à l'intérieur entre les villes et les campagnes.
Le réseau Netsuds privilégie les approches pluridisciplinaires en abordant aussi bien la question, des contenus et des usages que des accès. Aussi les angles d'analyse se basent-ils sur différents champs scientifiques comme l'économie, la géographie, les sciences politiques ou encore les sciences de l'information et la communication, donnant ainsi un relief original aux enjeux des TIC en Afrique. De plus, les travaux insistent sur la pluralité des sociétés africaines en couvrant plusieurs territoires allant du Maghreb à l'Afrique australe et passant par l'Afrique de l'ouest et centrale. Autant d'éléments qui permettent de mieux comprendre et cerner les nuances et la complexité des différents contextes africains. Les "contextes de connexion" nationaux mettent en relief les nombreuses barrières socioculturelles et la nécessité d'une approche à partir des stratégies des différents types d'acteurs impliqués dans le déploiement et les usages des TIC, tout en soulignant l'incohérence des discours rédempteurs des institutions internationales associant le développement du continent à celui de l'internet ou du téléphone mobile.
Ainsi, même si l'Afrique semble être devenue un champ clos de la rivalité des entreprises transnationales pour le développement de l'économie numérique, notamment en ce qui concerne la réalisation d'infrastructures et la promotion de services d'accès, la place des sociétés africaines dans ce processus, leur marge de manœuvre comme leur capacité réelle de décision demeurent précaires. Nos analyses de terrain montrent que loin de s'opposer, les dynamiques des secteurs entrepreneuriaux « formels » et « informels » se complètent et s'interpénètrent. Mais, en l'état actuel, la capacité des entreprises africaines est encore bien limitée pour tenir une place notable dans l'économie numérique mondiale, et peu d’États se préoccupent réellement de les accompagner par des politiques adaptées.
Dans cette même logique, à travers l'étude des « migrants connectés », c'est toute une dimension alternative, transcendant l'espace physique et les représentations classiques de la relation entre TIC et territoire que certains chercheurs du réseau Netsuds cherchent à mettre en perspective. Détachées des espaces nationaux, les TIC en Afrique sont caractérisées par une forte influence des migrants redessinant ainsi les « frontières » de la communication africaine caractérisée par un essor constant des flux transnationaux.
( 1) Ce n'est plus ICT4D mais M4D avec un colloque en Ouganda en novembre 2010 et un sujet jusque sur France Inter le matin 26 février 2010 sans compter la BBC, RFI et son dossier thématique, le Monde…