Les Rencontres des Études africaines en France


Retrouvez l'ensemble des ateliers proposés lors des différentes rencontres organisées par le GIS

Regards croisés sur le Recadère de Behanzin (Dahomey, 1917) et sur une presse africaine contestataire

Présentation

Coordination: Claire Ducournau & Cécile Van Den Avenne

Cet atelier vise à proposer des éclairages interdisciplinaires autour du Recadère de Behanzin, l’un des premiers périodiques publiés dans le Dahomey colonisé pendant la Première Guerre mondiale. Ce document d’archive volontiers cité mais moins souvent analysé en détails consiste en une série de lettres publiques successives adressées à partir de mars 1917 au gouverneur colonial français. Présentées comme un « journal » bénéficiant d’abonné·es, orchestrées par une « rédaction », « organe qui représente l’opinion publique au Dahomey », la plupart des lettres sont signées par le roi Béhanzin, célèbre résistant à la conquête coloniale, déporté par les Français et alors décédé. Si les travaux existant (Huannou 1980 ; Anignikin 2010, 2014), s’accordent à considérer que ces lettres ont été conçues par un collectif comprenant des intellectuels mobiles entre ce qui était alors considéré comme le « Quartier latin de l’Afrique Occidentale Française » et l’Hexagone, en particulier Louis Hunkanrin, Paul Hazoumé et Émile Zinsou, l’auctoralité précise de ce texte reste sujette à débats. Dans la lignée de travaux récents sur la presse africaine (Peterson, Hunter, Newell, 2016 ; Smith et Labrune-Badiane, 2018), l’atelier croisera des méthodes de travail et des regards d’historien·nes, de linguistes, de sociologues, de science politique, de spécialistes de la presse et de littérature africaines sur ce document, et d’autres comparables produits en Afrique au XXe siècle, en revenant sur leurs conditions matérielles et symboliques de production et de réception, les trajectoires de leurs auteur·rices, leur accessibilité à l’ère dite des humanités numériques, leurs caractéristiques énonciatives et textuelles, leurs sens et postérité pour l’histoire intellectuelle béninoise et africaine. Plus largement, on sera attentif aux manières dont une production écrite contestataire de l’ordre politique établi a pu s’inscrire dans un espace public colonial et postcolonial.

Le Récadère de Béhanzin : une scène d’inversion du rapport de forces au Dahomey colonisé

Dédjinnaki Romain Hounzandji

Le "Récadère de Béhanzin", dont le premier numéro date du 16 mars 1917, cible le gouverneur de la colonie du Dahomey, raillant son administration. Cependant, l'initiative est contrainte par le contexte : sous couvert de la signature de Béhanzin, l'équipe de rédaction, se présentant comme un "organe qui représente l'opinion publique au Dahomey", fait circuler de modestes manuscrits auprès d'un petit public de Dahoméens lettrés et d'agents coloniaux. Vu ces limitations, on s'interroge sur l'efficacité réelle de cette initiative portée par quelques intellectuels dahoméens. Il est possible que ces pionniers du contestationnisme au Dahomey aient créé, par le biais du "Récadère de Béhanzin", une scène d'énonciation qui inverse le rapport de force entre colonisateurs et colonisés. Cette étude analyse plusieurs lettres publiées dans ce journal, à travers les concepts de scène d'énonciation, d'actes de langage, et de face, issus de l'analyse du discours. L'objectif est de montrer comment un périodique animé par des colonisés peut paradoxalement adopter un positionnement discursif dominant. L'étude s'organise en deux parties : premièrement, elle examine les stratégies discursives utilisées par l'équipe de rédaction pour exploiter sa vulnérabilité; deuxièmement, elle analyse les actes de langage par lesquels les rédacteurs portent atteinte à la "face" du gouverneur et discréditent l'administration coloniale.

Le Récadère de Béhanzin, un texte fondateur de la littérature béninoise…et africaine d’expression française

Fernand Nouwligbeto

La série de six "articles" intitulée "Le Récadère de Béhanzin", souvent mentionnée dans des travaux scientifiques (Suret-Canale, Lokossou, Anignikin, Huannou), a été peu étudiée en détail. Ces lettres manuscrites, écrites et publiées en 1917 par Louis Hunkanrin avec des compatriotes comme Paul Hazoumè et les frères Zinsou Bodé, ont reçu un certain intérêt de Clément Koudessa Lokossou, qui en a cité des extraits dans sa thèse sur la presse au Dahomey. Cependant, les analyses n'ont pas approfondi la nature du document, qui oscille entre un journal manuscrit anticolonialiste et une série de correspondances. Cette incertitude générique, ainsi que la difficulté d'accès au document, ont découragé de nombreux critiques. L'étude propose que le "Récadère de Béhanzin" puisse également être considéré comme une œuvre littéraire originale. Les auteurs utilisent des procédés esthétiques comme les modalités d'énonciation, les marqueurs paratextuels, la configuration des actes, et un style narratif où la fiction joue un rôle important, voire plus important que les faits. L'objectif de cette étude est de démontrer, à la lumière de l'analyse littéraire, de la sociocritique, et de l'analyse du discours, que le "Récadère de Béhanzin" a une intentionnalité littéraire.

Dénoncer les violences de genre : enjeux sociaux, enjeux politiques dans la presse sénégalaise de la période coloniale tardive (1945-1960)

Angélique Ibáñez Aristondo

La presse coloniale africaine offre une ressource précieuse mais sous-exploitée pour comprendre les discours sur la violence de genre, qui varient selon les régions et les époques. Au Sénégal, dans les années 1930, des journaux comme La Sirène Sénégalaise, L'Action Sénégalaise, et Le Périscope Africain ont commencé à couvrir des cas de violence de genre dans un contexte de tensions politiques, notamment lors des élections de 1932 entre Blaise Diagne et Galandou Diouf. Ces publications incluaient des plaintes, des rumeurs et des rapports de témoins oculaires concernant le harcèlement, le viol, et les violences conjugales. Ces articles étaient souvent écrits par des hommes engagés dans des luttes de pouvoir politique, suggérant une masculinisation du discours sur la violence de genre. Bien que le Sénégal ait une longue histoire d'activisme politique des femmes, la presse ne rapporte pas d'implication féminine dans les débats sur la violence de genre avant la Seconde Guerre mondiale. Les écrits étaient principalement utilisés pour critiquer l'administration coloniale ou calomnier les autorités locales. Cette présentation cherche à approfondir ces analyses pour comprendre comment la position genrée des auteurs et leurs engagements politiques ont influencé les récits sur la violence de genre et leur prévention.

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