Les Rencontres des Études africaines en France


Retrouvez l'ensemble des ateliers proposés lors des différentes rencontres organisées par le GIS

Retour(s) en Afrique

Présentation

Coordination: Bonacci Giulia & Céline Labrune Badiane

L’idée d’un « retour » en Afrique est mobilisée depuis longtemps et de multiples manières dans les espaces marqués par la traite atlantique et par les géographies coloniales et postcoloniales. Parfois, cette idée se traduit en mobilisations, en pratiques sociales, et en mobilités vers le continent africain. Mis à l’épreuve des sociétés africaines, le « retour » soulève alors d’autres questions, relatives au statut des étrangers, aux dynamiques économiques locales et transnationales, ou encore à la redéfinition de projets politiques, culturels et musicaux. Mais il est toutes sortes de « retours », mus par des imaginaires, des
financements et des démarches s’inscrivant tantôt dans des trajectoires individuelles, tantôt dans des expériences collectives ; souvent poussés par des environnements racistes, parfois encouragés par des invitations formelles, ou encore déployés dans le cadre de coopérations internationales. Dès lors, est-ce que le « retour » d’un administrateur colonial antillais est comparable à celui d’une militante garveyite africaine-américaine ? Qu’est-ce qui distingue le « retour » d’un Rastafari jamaïcain de celui d’un professionnel né de parents ivoiriens en Europe ? Quelles sont les formations sociales, les entreprises commerciales et les dispositifs administratifs qui naissent dans le sillage du « retour » ? Quels statuts, quelles carrières et quelles familles se voient définies par l’expérience du « retour » ? Au croisement des solidarités panafricaines et des projets opportunistes, souvent portés par le désir de contribuer au développement de l’Afrique et inscrits dans un vide juridique et politique, quels sont les termes utilisés par les acteurs pour définir leur expérience ? L’objectif de cet atelier est précisément d’interroger cette notion de « retour » pour tenter d’en dresser les contours et les enjeux, d’en saisir les polysémies d’usage et d’en éprouver la pertinence pour analyser des mobilités vers l’Afrique. À partir d’exemples documentés et de données empiriques solides issues des mondes anglophones, lusophones et francophones, il s’agit de faire émerger la complexité de cette idée de « retour » à travers les mobilités concrètes qui y sont associées, afin de situer précisément les enjeux qu’elle soulève dans les sociétés africaines. Il s’agira enfin de questionner et de renouveler notre compréhension des configurations associées aux diasporas africaines, des plus anciennes aux plus récentes.

Un ‘retour’ sous contrôle ? La présence étasunienne au Fesman de Dakar, 1966 : entre enjeux géopolitiques et expériences diasporiques

Maëlle Gélin

Entre le 1er et le 24 avril 1966, environ trois cents intellectuels et artistes américains ont participé au Festival mondial des arts nègres (Fesman) à Dakar. Pour beaucoup, c'était leur premier voyage en Afrique. Cette présence, organisée par le gouvernement américain via le United States Committee for the First World Festival of Negro Arts et l’American Society of African Culture, a été peu explorée. Les études existantes la mentionnent principalement dans le contexte de la guerre froide, mais elle soulève aussi des questions plus profondes sur la relation entre le continent africain et sa diaspora. Le Fesman, en tant qu'événement culturel majeur, a été un point de rencontre entre Africains et Afro-Américains, mêlant enjeux géopolitiques, questions identitaires et expériences personnelles. Cet événement a généré des réactions diverses parmi les participants, allant de l'enthousiasme à la déception. Cette communication cherche à analyser les dimensions politiques, culturelles et individuelles de ce moment d'échange, en utilisant des archives du Sénégal et des États-Unis pour comprendre l'impact du festival sur les liens entre le continent africain et une partie de sa diaspora.

C’est une question de mélange’ : l’expérience du ‘retour’ des étudiants formés aux États-Unis pendant la guerre froide, entre impératif de développement et stratégies d’adaptation

Anton Tarradellas

Au lendemain des indépendances africaines dans les années 1960, les nouveaux gouvernements ont cherché à former des cadres pour soutenir leurs projets de développement et consolider leur souveraineté nationale. Simultanément, dans le contexte de la guerre froide, les États-Unis et l'URSS offrent des bourses d'études aux étudiants africains dans l'espoir de gagner leur loyauté. Des milliers d'étudiants africains ont donc étudié dans ces deux superpuissances, incarnant à la fois les espoirs de développement de leurs pays et les ambitions des États-Unis et de l'URSS. Cependant, le retour de ces diplômés dans leur pays d'origine s'avère souvent complexe. En examinant les expériences de retour d'une vingtaine de diplômés ghanéens, maliens, et tanzaniens formés aux États-Unis entre les années 1960 et 1980, cette communication explore les défis rencontrés par ces "retournés". Plutôt que de devenir des "héros du développement" ou des agents d'influence pour les superpuissances, ces diplômés jouent un rôle de médiateurs, tentant de réadapter leurs connaissances et pratiques américaines aux réalités locales. Le retour reste un processus ambigu, où les "retournés" doivent naviguer entre divers obstacles pour s'intégrer et apporter une contribution significative à leurs sociétés.

Stokely Carmichael / Kwame Ture : entre retour et asile, itinéraire d’un militant panafricain de Port of Spain à Conakry

Elara Bertho

A partir d’un corpus de presse, de ses propres écrits et d’une partie de ses archives privées conservées à Conakry par son fils Bokar Ture, je souhaite retracer la trajectoire intellectuelle de Stokely Carmichael et plus précisément la part africaine de sa vie militante. Il s’agira de comprendre la manière dont le signifiant « Afrique » est remobilisé dans une pensée de la lutte contre l’oppression néocoloniale et réinvestie au service de la construction du AAPRP (All African People’s Revolutionary Party), fondé à partir de 1968 par Kwame Nkrumah, dont Carmichael sera la cheville ouvrière. Devenu Kwame Ture depuis son accueil en 1969 par Sékou Touré à Conakry, il passe près de la moitié de sa vie en Guinée. Il n’abandonne pas les conférences internationales pour autant, mais il prend également une part active dans la vie militante en Guinée. Je souhaite retracer ces années trop peu connues du leader des droits civiques américain et ré-africaniser sa trajectoire. Je montrerai également les liens étroits qu’il entretenait avec le PDG (Parti Démocratique de Guinée) – voire sa relative cécité à l’égard des violences politiques que la Guinée a connues dans les années 1970 et 1980.

Business mémoriel ‘afro-américain’ autour du ‘retour en Afrique’ : cas de l’Ancestry Reconnection program au Cameroun.

Patrick Romuald Jié Jié

L'île de Gorée au Sénégal et le site de Ouidah au Bénin sont des lieux bien connus liés à l'histoire de l'esclavage, mais le port négrier de Bimbia au sud-ouest du Cameroun commence tout juste à être reconnu. Bimbia a attiré l'attention depuis 2010 grâce à l'Ancestry Reconnection Program, initié par l'association ARK Jammers aux États-Unis, qui utilise des tests ADN pour retracer les routes des navires négriers. African Ancestry, fondée par le biologiste Rick Kittles, a confirmé Bimbia comme un port d'embarquement des esclaves au Cameroun. Cette découverte a poussé de nombreux Afro-Américains à vouloir se reconnecter à leurs racines africaines, motivant un "retour en Afrique". Des personnalités comme Eddy Murphy, Spike Lee, Quincy Jones et Condoleezza Rice ont découvert des origines au Cameroun grâce à ces tests. L'entreprise ARK Jammers Connection Cameroon, fondée à Baltimore, facilite ces retours au Cameroun moyennant des frais financiers. Cette communication explore les enjeux mémoriels et financiers du retour des Afro-Américains en Afrique, en se basant sur des sources écrites et orales pour comprendre le rôle de ces découvertes génétiques dans le renforcement des liens entre la diaspora africaine et le continent.

Brandir le hashtag ‘retour en Afrique’, depuis le Sénégal, pour mobiliser sur les réseaux sociaux

Gilles Balizet

Depuis 2021, plusieurs "créatrices de contenus" sur Internet, installées au Sénégal depuis moins de cinq ans, offrent des services de coaching pour l'investissement et l'installation au Sénégal. Elles partagent leurs expériences de "retour en Afrique" sur YouTube, Facebook, et Instagram, utilisant des hashtags comme #retourenAfrique ou #repatriation, souvent associés à des mots-clés liés à la diaspora africaine. Ces activités numériques constituent le cœur de leurs modèles économiques, reposant sur la promotion de leur image personnelle. Cette communication interroge le concept de "retour en Afrique" que ces créatrices promeuvent. Elle examine les imaginaires véhiculés par ce hashtag, la manière dont elles construisent leur réputation grâce à la mise en scène de leur installation au Sénégal, et comment ces récits attirent des "communautés virtuelles". Elle explore également la réception de ces contenus par les publics et les implications économiques d'un tel marché du retour. L'étude se base sur trois profils de créatrices de contenus, en analysant leurs publications, en réalisant des entretiens, et en observant leurs interactions à Dakar. L'objectif est de comprendre comment ces récits en ligne contribuent à la dynamique du retour en Afrique et quelles en sont les répercussions sur les communautés diasporiques.

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