Présentation
« Lorsque la littérature s’associe à des lieux, se produit l’événement d’une saillance qui force à tenir compte des lieux » (Xavier Garnier, 2022) En partant de la notion de saillance, l’objet de cet atelier est d’investiguer les multiples manières par lesquelles les littératures (orales et écrites) et les arts (théâtre, cinéma, musique) forcent à tenir compte d’un lieu clé, le port. Lieu de passages et d’échanges qui met en contact, le port peut aussi fonctionner comme un microcosme à part, il peut être un hyper-lieu (Lussault, 2017) médiatisé, un hypo-lieu (Garnier, 2022) d’où émerge voix et rumeurs, un alter-lieu (Lussault, 2017) où se fomente des résistances. C’est un point d’intensité qui, depuis les ports négriers jusqu’aux actuels projets d’infrastructures controversés en passant par les ports coloniaux, en Afrique ou en Europe est omniprésent dans les littératures et les arts d’Afrique. L’atelier accueillera quatre communications, quatre escales dans
des ports différents : le port de Gênes chez Glissant (Leïla Annabi), celui de Zanzibar dans deux romans swahilis (Xavier Garnier), le port d’Alger à travers les textes et les photographies (Rym Khene) et Port- Gentil dans Petroleum de Bessora (Marie Pernice).
Port de Gênes dans l’œuvre d’Édouard Glissant, métaphore de déshumanisations
Leïla Annabi
Port de Gênes, là où : « 1492. Les Grands Découvreurs s’élancent sur l’Atlantique, à la recherche des Indes », c’est ainsi qu’Edouard Glissant inaugure son recueil Les Indes (1955) avec toute la concentration symbolique et polysémique adossée à ce lieu, métaphore du déchirement. Les Indes sont ainsi : « un nom » par lequel « commença la mer » où le port joue un rôle primordial, signe de conquête pour les uns, de descente aux enfers pour les autres. Au fil de 6 chants, le poète de la Relation pointe du doigt le port de Gênes, là où s’entassent une multitude de Noirs arrivés à un non-lieu, découvrant un espace inconnu. La poétique du lieu (départ/arrivée) est stylistiquement reconfigurée dans l’œuvre poétique de Glissant. Dès lors, nous consacrons dans notre étude des Indes, recueil poétique du poète martiniquais Edouard Glissant, où transparait le port de Gênes en pénombre fonctionnant comme un locus terribilis pour ceux qui sont dépossédés de leur Histoire, là où une terrible mémoire silenciée a laissé une trace qui ne s’effacera jamais de la surface du lieu mouvant.
Saillances écopoétiques du port de Zanzibar dans deux romans swahilis sur la grève des dockers de 1948.
Xavier Garnier
Publiés à la fin des années 70, Kuli de Shafi Adam Shafi (Tanzania Publishing House, 1979) et Dunia Mti Mkavu de Said Ahmed Mohamed (Longman, 1980) sont deux romans réalistes sociaux, qui retracent la grève des dockers du port de Zanzibar en août et septembre 1948. Nous proposons de pister la présence active du port dans l’écriture narrative des deux romans. Le déploiement de la zone portuaire, où se joue le conflit, intègre dans sa configuration les forces
du rivage, cette ligne-clé de front entre le maritime et le terrestre. Les môles, les entrepôts, les grues, les navires, les quais, les clôtures et les grilles sont habités des forces qui interviennent dans les négociations, donnant au récit du conflit social une portée écopoétique, dans le sens le plus politique du terme.
Alger portuaire
Rym Khene
Quelle est l’expérience esthétique et poétique du port d’Alger lorsqu’il est convoqué dans l’image ou dans le texte ? Que dit-il de l’histoire, des mémoires et des imaginaires ? En parcourant quelques exemples de travaux littéraires et photographiques, sous forme d’archive ou qui s’en emparent, je propose
une lecture exploratoire d’images allant de la période coloniale à nos jours.
Port-Gentil dans Petroleum de Bessora, une ville-pétrole ?
Marie Pernice
Port-Gentil, sur l'île Mandji dans le delta du fleuve Ogooué au Gabon, est un site chargé d'histoire lié à l'exploitation des ressources naturelles. Ancien poste colonial français, il est devenu un port clé pour l'exportation du bois, puis un centre de l'industrie pétrolière sous l'égide de la société Elf. Le roman
"Petroleum" de Bessora, publié en 2004, se déroule à Port-Gentil et explore les conséquences de l'exploitation pétrolière sur la ville.
L'intrigue suit des personnages enquêtant sur une explosion sur un navire d'Elf-Gabon, révélant comment la ville est façonnée par l'industrie pétrolière, de ses installations industrielles à ses rues principales. Le récit met en lumière le déclin de Port-Gentil, marqué par des infrastructures pétrolières abandonnées, des terres stériles et un repli sur soi de la ville. Ce déclin reflète la ruine écologique et sociale causée par l'exploitation des ressources. Les analepses du roman montrent comment le port est lié à son arrière-pays, rappelant le processus de formation du pétrole, avec des strates d'histoire qui se superposent pour créer une atmosphère de stagnation et de déclin.