Les Rencontres des Études africaines en France


Retrouvez l'ensemble des ateliers proposés lors des différentes rencontres organisées par le GIS

Subjectivité politique et expérience urbaine ordinaire dans les villes d’Afrique

REAF 2022
Circulations dans les Afriques, Afriques en circulation
Toulouse

Présentation

En Afrique, la question des relations entre ville et politique a été abordée en priorité à travers l’étude des conflits, des mobilisations et des luttes sociales (Siméant 2014). Ces moments parfois spectaculaires, où des tensions s’exposent dans l’espace public, ont à juste titre capté l’attention sur un continent où démocratisation et urbanisation progressent conjointement. La science politique, la sociologie des mouvements sociaux ou encore la géographie sociale se sont ainsi intéressées aux formes organisées et plus ou moins institutionnalisées de l’action politique collective : partis politiques, associations, syndicats, parlement de rue... (Banégas et al. 2012). Elles ont mis l’accent sur les revendications (mouvements du Balai citoyen au Burkina Faso, Y en a Marre au Sénégal, « Zuma must fall » en Afrique du Sud, ou marches Saba Saba au Kenya...), en particulier sur la construction de la citoyenneté.

En revanche, le rôle de la ville dans la construction des subjectivités politiques, qui commence à être exploré en études urbaines (Boudreau et al. 2009), a été moins traité en Afrique. Des travaux émergent (Morange 2016 ; Fourchard 2018 ; Morange et al. 2018 ; van Overbeek et Tamás 2018 ; Lindell et al. 2019) embrassent notamment cette perspective. Dans la lignée des travaux de Michel Foucault, ils définissent la subjectivité politique comme un processus de construction du rapport du sujet à l’ordre politique et social. Ce processus passe par la production de conduites ordinaires, au sens de régulières et banales, parfois inscrites dans le temps long. De manière transversale aux classes sociales, elles témoignent de formes d’intériorisation/contestation des normes, intéressant l’individu en tant qu’il est pris dans un collectif socialisant.

Ce panel éclairera, par des études de cas concrètes, plusieurs modalités de la construction du rapport au politique à travers l’expérience urbaine ordinaire en Afrique :

- Les formes de régulation ou d’encadrement socio-politiques par des intermédiaires/médiateurs (groupes religieux et d’entraide, youth groups, syndics de copropriété, syndicats de transporteurs, travailleurs sociaux...) ou par des interfaces bureaucratiques (street level bureaucracy, bureaucratie d’interface, Olivier de Sardan 2004).

- Les pratiques urbaines qui façonnent le rapport à la norme sociale : loisirs (malls, clubs, bars, sport...) (Houssay-Holzschuch 2009 ; Connan 2016 ; Sundberg 2017), socialisation par lamobilité (marche, transports en commun) (Rizzo 2017), rapport à l’espace public et exposition de soi (Malaquais et Marchal 2005).

- Les sociabilités qui s’élaborent dans des espaces de rencontre, physiques, virtuels ou hybrides, propices à des confrontations/conformations à des normes, valeurs, aspirations (groupes de parole, salons de coiffure ...) (Boyer 2014 ; Vincourt et Kouyaté 2012 ; Masquelier 2013 ; Lefebvre 2019).

- La transmission/contestation de normes dans la sphère domestique (Politique africaine 2019), familiale et intime (redevabilité, attentes sociales, relations intergénérationnelles, apprentissage des rôles sociaux au sein de la famille ...) (Mercer et Lemanski 2020).

Ces débats, naissants en Afrique, sont plus avancés ailleurs, notamment en Amérique latine (Quentin 2020). Le panel s’ouvrira à des contributions hors du continent africain. Elles éclaireront l’apport des études africaines au champ en construction des approches foucaldiennes en études urbaines.

Coordination : Jean-Baptiste Lanne

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Partie 1

Partie 2

Résumés des communications

Session 1 - Présences de l’État dans les vies urbaines quotidiennes

Les dynamiques de l’obéissance suspicieuse au Cameroun. Jeux de récits et subjectivation complotiste à Yaoundé

Patrick Belinga

Comment expliquer la situation générale d’obéissance politique quotidienne au Cameroun alors même que, objectivement, « toutes les conditions sont réunies pour une déflagration dramatique » selon Achille Mbembe ? Dans le cadre de cette communication, je montre qu’une nouvelle forme d’obéissance politique est précisément à l’œuvre dans le contexte autoritaire du Cameroun : en évitant de se confronter directement à l’arsenal répressif de l’Etat, les populations ordinaires ont développé un mode de subjectivation qui consiste en une dénonciation complotiste des « filouteries » du pouvoir. Ce mode populaire d’action politique spécifique échappe aux canaux du contrôle politique et permet ainsi qu’ait lieu une critique privée de l’Etat, tout en maintenant « la face » de l’obéissance dans les espaces publiques.

Le quotidien d’un « projet civilisationnel » dans un quartier populaire du Grand Khartoum

Lucie Révilla

Cette communication s’attache à décrire les formes de production et de reproduction dans le quotidien d’un projet politique imposé par le mouvement islamiste soudanais dans un quartier situé dans la grande périphérie du Grand Khartoum et issu d’une planification autoritaire et violente. À travers la monographie d’une quartier populaire et marginalisé, je montre comment le rapport à la ville détermine largement les formes quotidiennes du politique que les habitant·es façonnent. Il s’agira cependant de dépasser les dichotomies habituelles forgées pour décrire ces situations. En m’inspirant des travaux sur l’ « histoire du
quotidien » (A. Lüdtke), je cherche à analyser le grand éventail des attitudes et positionnements des habitant·es face au régime d’Omar al Bashir qui ne peuvent se réduire à l’opposition adhésion/résistance à la domination. Enfin, je présenterai des résultats issus d’un terrain complémentaire réalisé après la chute du régime en 2019.

Observer la subjectivation politique en contexte néolibéral : quelques questions de méthode à partir du cas du marché du Greenmarket Square, Cape Town

Marianne Morange

En Afrique du Sud, les promesses politiques liées à l’avènement de la démocratie libérale ont produit des formes de subjectivités fondées sur une demande d’inclusion dans la société urbaine capitaliste. Pour éclairer ces processus, j'ai mené une enquête ethnographique sur un marché du Cap en mobilisant les apports de la philosophie politique de Michel Foucault. Je reviens ici sur les problèmes méthodologiques que pose un tel projet théorique.

« Qui veut être un super voisin ? » : subjectivation politique et accompagnement social à la vie en copropriété à Medellin

Aurélie Quentin

À Medellin, un quartier périphérique récent rassemble plus de 15 000 logements sociaux dans des immeubles en copropriété dont la gestion s’avère problématique. Pour y remédier, la municipalité a mis en place un programme d’accompagnement social aux copropriétaires. J’analyse les processus de subjectivation politique liés à ce dispositif qui vise à mettre en ordre un espace urbain tout en ayant des prétentions émancipatrices, pour comprendre comment
opère concrètement la gouvernementalité néolibérale. Cette communication se centrera sur les difficultés méthodologiques qui émergent de cette tentative de saisir, par l’enquête ethnographique, la construction du sujet politique.

Session 2 –Subjectivations politiques « à travers » l’urbain

« Au bord du politique » à Ouagadougou : discuter les normes sociales à travers les pratiques urbaines au sein des grins de thé

Félix Lefebvre

À Ouagadougou (Burkina Faso), à travers certaines pratiques comme les grins de thé, les jeunes discutent, échangent sur leurs expériences et leurs difficultés quotidiennes, mais aussi occupent l’espace public, s’affirmant en tant que groupe, et par ce biais questionnent les normes sociales, le pouvoir des aînés et l’ordre urbain. De ces pratiques émergent parfois des mobilisations qui ont pu notamment jouer un rôle dans l’insurrection de 2014. Nous nous intéresserons au quotidien urbain comme échelle de politisation passant souvent hors des radars du politique. Nous interrogerons en particulier le continuum existant entre les
pratiques quotidiennes « infrapolitiques » et l’engagement militant dans l’espace public.

Subjectivité politique et expérience urbaine ordinaire dans les espaces de distribution et de consommation de l’alcool à Meknès (Maroc)

Philippe Chaudat

Tout en transgressant la loi en consommant, en achetant et en transportant de l’alcool, les Marocains respectent une norme informelle dominante et officieuse, qui consiste à tolérer l’usage de cette marchandise à condition qu’elle soit masquée. Normes officielles et normes officieuses cohabitent ainsi dans les espaces urbains et permettent aux consommateurs d’alcool de construire un rapport à l’ordre politique et social original et propre à leurs pratiques témoignant à la fois de formes de contestation des normes officielles et d’intériorisation d’autres normes officieuses partagées socialement.

Une « perte des vertus » ? Réflexions sur une urbanité en construction à Bonoua

Arthur Bertucat

Bonoua est une petite ville située en périphérie du Grand Abidjan et relais sur le corridor Abidjan-Lagos. Son absorption par la métropole et son changement d’échelle font émerger l’espoir d’un développement et une réaction de rejet adossée à la nostalgie d’un passé villageois. Ce positionnement individuel et collectif face à une urbanité en construction désarçonne les acteurs locaux, tel le sous-préfet qui justifie son action par « la perte des vertus qui faisait de Bonoua la cité du travail, de l’union et de la discipline ».

Citoyens et construction de l’ordre politique au Cameroun : essai de comparaison de la mentalité et de l’implication du politique au travers de l’observation dans trois villes Yaoundé, Douala et Buéa

Chrystel Njiki Bikoi

L’État du Cameroun situé en Afrique Centrale, est un pays à double identité linguistique (francophone et anglophone) et multiculturel. Face donc cette réalité sociologique, ce pays a toujours et continue à faire face de profondes réinventions politiques. Il est donc question d’analyser ces mécanismes de réinvention et/ou de renouvellement de l’Etat d’une part. Et d’autre part, de mesurer l’impact d’un tel procédé dans la construction de la cohésion sociale et le respect des identités individuelles et plurielles recensées au Cameroun. Toutefois, l’objectif ici est de mettre en exergue l’appartenance et la résidence dans une ville comme
source de fabrique de la mentalité du politique par le citoyen.

Des conflits qui font l’ordinaire urbain : ruse, ensauvagement et populisme autour de « la bombe du foncier »

Monique Bertrand

Au Mali, la conflictualité foncière participe de tensions urbaines autant que politiques. La « bombe du foncier » se révèle à fragmentation dans la presse en ligne et donne à voir le quotidien de la ville au fil de constantes « affaires de terrains ». Ce faisant, ce n’est plus une économie morale qui domine les consciences ; ce sont des subjectivités ouvertement contradictoires, en quête de tribune et de relais pour s’exprimer dans l’adversité sur, à la fois, les troubles de la cité et le devenir du pays.

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