Présentation
Coordination: Gning Sadio Ba, Laure Moguérou, Charlotte Vampo
Dans de nombreuses sociétés africaines, les inégalités structurelles entre femmes et hommes persistent et des contraintes spécifiques aux femmes ou des formes de violence demeurent, mais, dans le même temps les femmes disposent d’une importante autonomie économique, sont fortement présentes dans l’espace public et font preuve d’une mobilité spatiale considérable (Adjamagbo et Gastineau, 2017). Ces paradoxes font l’objet d’un relatif consensus empirique, mais donnent lieu à des analyses variées. D’un côté, des travaux contestent la pertinence du paradigme de la domination dans le contexte africain. De l’autre, des travaux soutiennent que les institutions patriarcales contraignent les possibilités d’émancipation des femmes et que la domination masculine prévaut. Néanmoins, certains s’inscrivent dans le paradigme de la domination tout en se positionnant en rupture par rapport à une manière « occidentale », hégémonique, de la penser. Ces positions distinctes questionnent l’applicabilité et les contours de nombreux concepts utilisés habituellement dans les études de genre comme patriarcat, domination masculine, pouvoir et autorité, division sexuelle du travail, égalité et émancipation. Ce panel invite ainsi les contributeurs et contributrices à discuter, à partir d’études empiriques, des points de tension analytique et théorique présents dans leurs recherches, au regard des débats épistémologiques en cours. Elle vise à prolonger, à la lumière de situations empiriques actuelles, les travaux, très conséquents développées en/depuis l’Afrique anglophone où de premières critiques allant dans le sens d’un « ethnocentrisme des études de genre » ont été formulées dès les années 1980 (Bouilly, Dutoya, Saiget, 2022) et les travaux décoloniaux, élaborés « depuis les marges » (hooks, 2017) qui discutent de l’opérativité d’un appareillage théorique initialement conçu dans le nord pour analyser les dynamiques de genre sur le continent africain. Ainsi, quels savoirs académiques, grilles d’analyse et cadres conceptuels, liés au genre, sont utilisés pour travailler en/sur l’Afrique ? Dans quelles mesures les théories, concepts et méthodologies féministes –et lesquelles–sont-elles mobilisées ? Quelles sont les critiques formulées ? Quelles notions et quels concepts sont mis à distance ? Comment sont-elles/ils revisités par les chercheurs et chercheuses qui pensent les Suds et/ou pensent depuis les Suds ? Quelles théorisations alternatives sont avancées pour renouveler les approches ?
Féminisme et « commerce social » au Cameroun. Surfer sur l’empowerment à l’abri de la vague féministe
Isidore Steve Kouam
L'entrepreneuriat numérique prend de l'importance, mais reste largement ignoré par la littérature féministe. Pourtant, le numérique change les rapports sociaux et les normes de genre. Les féministes classiques ont souvent critiqué le travail comme source de domination masculine, menant à une lutte contre la modernité androcentrée. Les féministes des Suds, particulièrement en Afrique, adoptent une perspective différente. Pour elles, la domination masculine n'est pas nécessairement le principal problème, car elles font face à des formes de domination plus complexes, incluant le colonialisme et l'impérialisme. Au Cameroun, des études montrent que les jeunes entrepreneures numériques, souvent instruites et en union libre, se concentrent sur l'autonomisation par le commerce en ligne sans s'identifier au discours féministe traditionnel. Cette recherche examine comment ces femmes utilisent les réseaux sociaux pour des activités lucratives, mettant en lumière des approches d'émancipation distinctes du discours féministe classique.
Identité masculine et vécu homosexuel, les récits de vie de demandeurs d’asile ouest-africains comme outil d’exploration des modèles de genre
Franck Bouchetal Pelligri
L'étude porte sur 155 hommes migrants d'Afrique de l'Ouest en France, qui ont demandé l'asile en raison de persécutions liées à leur homosexualité. Basée sur 1 376 entretiens, elle examine comment les modèles de masculinité et de féminité dans leurs sociétés d'origine ont influencé leur parcours. Les résultats montrent que l'identité de genre est une construction sociale qui dépend des contextes culturels locaux. Les récits de vie révèlent que les individus ont affronté des normes de genre qui dictent les rôles de masculinité et de féminité, souvent en conflit avec leurs identités sexuelles. Cette étude suggère que la notion de masculinité doit être plus flexible pour tenir compte des variations culturelles. Contrairement à l'identité homosexuelle qui s'hybride entre références traditionnelles et occidentales, l'identité masculine demeure fortement liée aux modèles locaux, expliquant la difficulté des migrants africains à s'intégrer dans une perspective occidentale de l'homosexualité.
Injonctions sociales de genre et discours sorcellaires en pays éwé (Sud-Ouest du Togo)
Coline Desq
Dans le village d'Hanyigba-Todzi au Togo, les rumeurs de sorcellerie reflètent les attentes sociales liées au genre. Adèle, une commerçante riche mais sans enfant, est accusée de sorcellerie par ses cousines. Les soupçons émergent parce que les femmes doivent être mères; ne pas avoir d'enfant suscite des doutes. Une des accusatrices, Elom, est également suspectée de sorcellerie, car elle a des relations sexuelles avec plusieurs partenaires, défiant les normes traditionnelles. L'étude explore quatre cas de femmes qui ne respectent pas les injonctions sociales, ce qui engendre des tensions. Les hommes puissants sont également visés par ces soupçons, tout comme les femmes qui réussissent financièrement mais ne répondent pas aux attentes traditionnelles. L'enquête, basée sur 15 mois de terrain, démontre que les soupçons de sorcellerie permettent de comprendre les pressions sociales sans nécessairement exclure les personnes accusées, tant qu'elles ne sont pas formellement condamnées.
Nouvelles perspectives féministes au Sénégal : enjeux égalitaires et décolonialité du genre
Saliou Ngom
Mame Aminata Diagne
Autrefois, les études africaines présentaient les femmes africaines comme des êtres colonisés sans pouvoir, nécessitant transformation pour accéder à un statut de "femme moderne." Cette perspective néocoloniale les décrivait comme des êtres précaires en quête de besoins matériels et d'émancipation.
Grâce aux études postcoloniales et à l'intersectionnalité, cette vision a évolué, en particulier dans les mouvements féministes africains. Au Sénégal, de nouveaux collectifs féministes défient l'hégémonie des idées occidentales, contextualisant les conditions des femmes en Afrique et rejetant un féminisme
"universaliste." Ces mouvements se réfèrent à des éléments de l'Afrique précoloniale, comme la matrilinéarité ou le matriarcat, pour contester l'image des femmes africaines comme impuissantes. Ces collectifs féministes explorent les théories décoloniales pour affirmer leurs revendications tout en maintenant des valeurs égalitaires. Basée sur des entretiens avec des collectifs féministes sénégalais, cette recherche montre comment ces mouvements transforment le féminisme au Sénégal, tout en explorant de nouvelles formes de réappropriation du genre en Afrique.