Les Rencontres des Études africaines en France


Retrouvez l'ensemble des ateliers proposés lors des différentes rencontres organisées par le GIS

Une course aux ports en Afrique ? Acteurs, territoires et stratégies

Présentation

Depuis le milieu des années 2000, une transition portuaire est à l’oeuvre sur les façades maritimes africaines. Celles-ci se dotent d’infrastructures à même de supporter les flux croissants de marchandises et de ressources importés comme exportés par les 54 États de la région. Ainsi, terminalisation, spécialisation et modernisation (Lihoussou, Steck, 2018) des ports africains ont tous trois entrainé (ou été entrainées par) l’internationalisation des infrastructures côtières du continent (Mareï, 2016). Cette internationalisation se vérifie par la présence croissante d’opérateurs mondialisés (APMT et Maersk, Bolloré et MSC, CMA CGM,
DP World, China Merchants, COSCO, Hutchison, etc.), y compris dans la gestion des terminaux. Elle se confirme également par le nombre de pays africains devenus millionnaires en conteneurs équivalent vingt pieds : de 2 en 2000, ils sont passés à 7 en 2020 (UNdata, 2023). Dans ce contexte, une « course aux ports
africains » (Reboredo, Gambino, 2023) serait supposément produite, autant par les opérateurs de rang mondial que par les États africains qui deviendraient dès lors concurrents en vue de polariser ces flux maritimes. Évoquée à l’envi, cette « course » serait en grande partie le fait de la « Chine » (CSIS, 2019 ; Yang et alii, 2020). De surcroît, ce seraient même des « ports chinois » (Chichava, Alden, 2021 ; Kardon, 2022).
Cet atelier souhaite évaluer cette supposée course aux ports africains pour en extraire acteurs (privés comme publics), territoires et infrastructures (quels ports, quels modèles, quelles conséquences ?) et stratégies (entrepreneuriales et étatiques). Cet atelier peut accueillir des communications portant sur les échanges et transports internationaux (Vigarié, 1997), sur les infrastructures elles-mêmes (Sylvanus, 2022), sur des groupes (APMT, MSC, China Merchants, etc.) ainsi que sur les territoires concernés. Plusieurs approches (micro, méso, macro) et disciplines (économie, géographie, anthropologie) peuvent être
mobilisées. Une attention particulière sera portée à l’équilibre entre les vocations quantitatives et qualitatives des communications, ainsi que sur celles tendant à « décentrer » (Pairault, Soulé et Zhou, 2023) l’analyse ; soit à partir non pas des acteurs économiques internationaux, mais des acteurs locaux, africains.
Ces décloisonnements doivent permettre d’appréhender au mieux l’enjeu portuaire africain, vu comme un outil de développement multiscalaire.

Le port de Djibouti, entre insécurité maritime et imbrication géostratégique
Ali Miganeh Hadi

Qui aurait pu imaginer voir un jour Djibouti se doter de ports modernes et compétitifs sur l’échiquier mondial ? Et comment ce petit État a-t-il réussi à se trouver au cœur des stratégies du commerce maritime international ? Au-delà des questions de la modernisation et développement portuaire, Djibouti est devenu également un pôle de sûreté et de sécurité maritime essentiel sur l’ensemble Mer Rouge/Bab al-Mandeb et Golfe d’Aden.
En profitant de son emplacement géographique et de sa stabilité politique dans une région traversée par des multiples conflits, Djibouti a su se mettre au centre des enjeux internationaux où s’imbriquent les questions sécuritaires (piraterie, terrorisme, proliférations d’armes etc.) et celles économico-commerciales
(Miganeh Hadi, 2018). C’est dans cette perspective que le port de Djibouti s'est développé sur fond d'insécurité maritime régionale, Djibouti servant de base logistique pour les forces internationales et assurant la sécurité de la route maritime Est-Ouest. En retour le pays s’appuie sur cet aspect sécuritaire pour attirer les investissements dans le domaine des infrastructures.

Les ports de l’Érythrée : l’antithèse de la frénésie portuaire africaine
François Guiziou

La situation des ports de Massawa et d’Assab, les deux ports érythréens, est singulière dans la mesure où ils demeurent de petits ports quasi oubliés : Assab connait la concurrence de Djibouti depuis la perte des ports éthiopiens devenus érythréens ; Massawa est le port d’Asmara, la capitale érythréenne, et dessert le petit arrière-pays du nord de l’Érythrée. Ces ports dont les tonnages de vracs et le nombre d’EVP restent sujet à interrogations qu’il s’agisse du secret des affaires ou de l’opacité qui caractérise le régime érythréen. Les investissements étrangers liés au volet Chinois avec la Belt and Road Initiative (déclarations de principe, visites réciproques des autorités) ou aux Émirats Arabes Unis n’existent qu’à des stades embryonnaires, à la limite du virtuel. Aucun autre acteur ne semble pour l’instant disposé à investir. Il s’agira ainsi de comprendre ce qui peut dissuader ou entraver la frénésie des acteurs de dimensions mondiales généralement constatée dans l’établissement des ports et systèmes de transport en Afrique (corridors, connexions, multimodalité). Cette analyse en négatif s’appuiera sur des entretiens, un suivi de littérature grise et une analyse par télédétection.

La ruée éthiopienne vers les ports dans la Corne de l’Afrique
Géraldine Pinault

Après une courte période au cours de laquelle l’État éthiopien a pu jouir du contrôle d’un territoire côtier par le rattachement de l’Érythrée entre 1952 et 1993, le géant de la Corne de l’Afrique s’est à nouveau retrouvé enclavé à l’indépendance de celle-ci en 1993 et a totalement perdu l’accès aux ports érythréens en 1998. Depuis cette date, environ 80 % du commerce extérieur éthiopien transite par les ports de Djibouti, alors même que l’Éthiopie connaît une très forte croissance démographique et économique. Au cours des 30 dernières années, l’Éthiopie tente de diversifier ses accès à la mer. Cette question, devenue existentielle pour l’Éthiopie tant pour un accès commercial à la mer que pour sa participation à la gestion des questions sécuritaires dans la mer rouge et le golfe d’Aden, a pris une
teinte belliqueuse depuis l’arrivée au pouvoir du premier ministre Abiy Ahmed qui a restauré une marine militaire éthiopienne et émis un certain nombre de déclarations agressives à l’encontre de ses voisins côtiers. Cette contribution tend à prendre à l’envers la question de la ruée sur les ports africains en mettant
en relief les stratégies et intérêts propres des acteurs africains, côtiers comme enclavés, ainsi que la nature et le sens de leurs interactions avec les opérateurs globalisés.

Les enjeux territoriaux face aux défis de la connectivité en Afrique : cas du port de Tanger Med
Hasna Slamti

Depuis l'avènement du règne du Roi Mohamed VI, le Maroc s’est engagé dans un développement sans précédent. Il a fait du secteur maritime un levier incontournable de l’économie nationale. Ouvert à la fois sur l'Atlantique et la Méditerranée, son positionnement géographique fait ainsi de lui un carrefour maritime incontournable sur le plan international. Cette politique de maritimisation du territoire marocain s’est accompagnée avec la création de nouveaux ports spécialisés qui désormais rivalisent les grands ports mondiaux et qui disposent, à cet endroit, d’une logistique technologique très moderne. Le cas du port de Tanger Med en est une manifestation réussie remarquée et remarquable, saluée d’ailleurs, pour son dynamisme par plusieurs organismes mondiaux compétents dans cette organisation territoriale. Dès lors nous nous demanderons quel est l’impact aujourd’hui de cette politique maritime sur le développement économique du pays à la fois sur sa gestion régionale interne au pays et ses ouvertures à l’international. Nous focaliserons notre réflexion sur le rôle de Tanger Med en tant que hub logistique mondiale dans la désarticulation du territoire africain.

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